Patrick MANET a écrit : ↑03 févr. 2018, 15:36
Savoir lire ne sert qu'à lire, pas à mieux entendre ni à mieux jouer.
Non.
(À péremptoire, péremptoire et demi !)
Savoir lire permet de structurer la perception musicale, notamment en "pensant" l'échelle tonale en chantant ou en jouant, et en décomposant intérieurement les temps de la mesure.
Quelques uns ont tiré à la loterie génétique (ou doivent aux bonnes fées qui se sont penchées sur leur berceau, ou à la Providence, comme vous voudrez) la capacité à être musicalement structurés dans leur tête sans passer par la case solfège/lecture/théorie musicale.
Django, Chet Baker, Errol Garner je crois. Plus près de nous, un Bireli Lagrène, par exemple. Et peut-être Patrick Manet ?
Dieu les bénisse.
Pour les blaireaux lambda (catégorie dans laquelle je suis bien obligé de me classer, à mon grand dam), le solfège est d'un grand secours.
Il est vrai que je n'ai plus trop le choix : je suis passé du jazz au classique, et quand tu dois jouer une symphonie, il vaut mieux avoir la partoche sous les yeux, sauf si tu t'appelles Wolfgang Amadeus et que tu es capable de transcrire note pour note l'intégralité du
Miserere d'Allegri après l'avoir entendu une seule fois.
Mais je regrette bien de ne pas m'être mis au solfège plus assidûment quand je jouais du jazz en combo.
D'ailleurs, quand j'ai eu à jouer en big band, même combat qu'en classique, à peu de choses près : si j'ai eu le "job" (avec guillemets parce que ce n'était pas un engagement de pro, juste la place de bassiste dans un big band de conservatoire), c'est bien parce que je lisais à peu près correctement.
Autre utilité, et non des moindres : pouvoir lire les exercices des méthodes d'instrument.
Séb, sur un autre topic, demande conseil pour un recueil d'exercices.
Je lui ai proposé la
Comprehensive Bass Method de Van de Geyn, qui a mon avis est ce qui se fait à peu près de mieux dans le genre.
Qu'est-ce que tu fais de ce bouquin, si tu ne sais pas lire la musique ? Des cornets de frites ?
Dire que lire ne sert pas ni a mieux entendre ni à mieux jouer, je suis désolé, Patrick, c'est rendre un très mauvais services aux débutants qui arrivent sur ce forum et qui vont se dire "cool, musique sans solfège, génial, dans six mois je joue comme Ray Brown".
Et tiens, à propos de Ray Brown, tu crois que tous ces merveilleux musiciens américains que nous admirons tant ont dans leur grande majorité zappé le solfège ? Pas du tout. Ils ont pour la plupart d'entre eux, énormément travaillé dans tous les créneaux du jeu : technique instrumentale, impro, musicalité, "ear training", etc. Et solfège. Ils sont le plus souvent d'excellents lecteurs.
À quelques exceptions près, il est vrai (voir plus haut). Mais il ne faut pas tirer des conclusions générales de ces cas très particuliers et exceptionnels.
Maintenant, il y a un point sur lequel je peux te rencontrer : c'est que lire ne dispense pas d'ouvrir les oreilles.
Et c'est là, à l'inverse, qu'une mauvaise pédagogie dans l'apprentissage de la musique peut faire prendre l'ombre pour la proie et le solfège pour la musique.
La lecture des notes, c'est d'abord (mais pas seulement) un moyen d'aider la mémoire et l'exécution.
Et encore ! Quand tu lis toutes les notes, et que tu les joues sans en manquer une, justes et parfaitement en rythme, tu ne fais pas encore de musique.
La musique, elle est au-delà et après, et il y a des choses qui ne s'écrivent pas (heureusement d'ailleurs).
C'est comme le théâtre : quand tu sais lire tous les mots de Molière, de Shakespeare ou de Ionesco, tu ne sais pas encore jouer. Il reste beaucoup de chemin à faire.
Et pour finir d'être de bonne foi, il faut dire aussi que si la capacité à lire est bien utile à tous les musiciens, jazzmen compris, elle n'est pas l'alpha et l'oméga. Ce n'est qu'une petite partie de la compétence globale, dont la plus grosse partie passe par les oreilles, c'est à dire écoute, écoute, et encore écoute, repiquage de disques, concerts, écoute aussi de soi-même (est-ce que j'ai le phrasé, est-ce que j'ai la justesse, est-ce que j'ai le groove, est-ce que j'ai le feeling, etc.) Et écoute des autres musiciens, en interaction avec eux (tiens, là je suis un peu en avance sur la batterie... le soliste a tendance a s'avachir, il faut que je le tire... le pianiste a un jeu de main droite très volubile, mais sa main gauche est quasi muette, il faut que je fasse plus sentir les passages d'accords... Etc.)
Bon, j'arrête là.
Voilà une belle petite polémique en perspective, avec peut-être de grosses invectives et même quelques noms d'oiseaux ...
On va bien s'amuser.
Dis, Astérix, ils sont où les Romains, ils sont où ?