Anne-Sophie Mutter à Pleyel

[panurgeceline]

Bonjour à tous!
Je ne savais pas trop où poster cela...
Hier soir Anne-Sophie Mutter se produisait dans une oeuvre contemporaine, par ailleurs pas inintéressante par endroits. Elle avait le beau rôle, a pu réellement faire sonner son magnifique violon. Et soudain, vers la fin du premier mouvement (? vrai dire je ne suis pas très sûr de la temporalit? de l'oeuvre...), arrêt de l'orchestre, de la soliste: Kurt Masur se penche sur la partition, Mutter vient lui parler (genre: regardez, Maêtre, c'est ça qui est écrit, pas ça), tout ça va très vite, murmures dans la salle (voire ?clats de rire), et ça repart...
J'ignore si c'est l'orchestre ou la soliste qui s'est tromp?; toujours est-il que je crois que ce n'est la faute ni de l'un ni de l'autre... La musique contemporaine, ? force de jouer sur des quarts de tons, des huiti?mes de demi de double soupirs, de semi-harmoniques, et autres d?lices, devient d'une part (comme beaucoup l'ont déjà dit) quasi inaudible, mais en plus injouable: impossible, même pour le meilleur orchestre français, d'être sûr de l'?x?cution d'un point de vue technique tant la partition est aléatoire.
Devant cet ?pisode assez spectaculaire (surtout quand elle met en jeu l'une des très grandes violonistes des vingt dernières années), on a assist? en fait ? la démonstration du caractère aléatoire d'une partition contemporaine: parfois, l'abstraction musicale (i.e. l'absence de mesure) devient intraduisible en notes, en texte: les compositeurs modernes luttent parfois courageusement contre cette fatalit? de l'écrit, qui entrave l'imagination contemporaine. Mais on peut avoir une lecture plus pessimiste: ? force de renoncer ? la mesure, les compositeurs contemporains renoncent ? la transmission, et donc en musique ? l'interprétation: Schoenberg dit quelque part dans son trait? d'harmonie qu' écrire de la musique moderne, ça n'est certainement pas écrire n'importe quoi, ni renoncer ? toute mesure. Ce genre de leçons permettent d'éviter ce qui s'est passé hier soir ? Pleyel..
Si les gens ont ri lors de l'interruption, c'est peut-être que ça ne les surprenait pas...

[Rem's doublebass]

Je pense effectivement pareil au sujet de l'écriture de plus en plus euh...hi?roglyphique ? de la musique contemporaine, et merci pour l'anecdote panurgeceline.

[panurgeceline]

C'est une question très grave aujourd'hui, et elle concerne par dessus tout la contrebasse qui (comme soliste) est dans sa jeunesse et dont le répertoire est très largement devant lui.
Car ce qui se passe - c'est tout simplement le rejet de toute norme autre que l'instabilité. Il y a une tyrannie de l'atonalité - terme que Schoenberg haïssait par dessus tout - qui fait passer toute musique chantante et rythmique comme affreusement réactionnaire - voire fasciste (cf. certaines pages d'Adorno, par ailleurs un grand penseur, sur le "fascisme" de la tonalité). Jean Françaix? un Vichyste bien sûr (nous disent les fondamentalistes du contemporain); Hindemith? à la limite... Britten? quelle horreur... etc.: même la seconde école de Vienne n'échappe pas à cette vindicte de la part des "artistes" contemporains - Schoenberg n'est plus un maître pour beaucoup: qui lit encore son Traité d'harmonie, qui fut un livre révolutionnaire?
Beethoven ne se posait pas la question de savoir s'il était moderne ou non: son génie (sans doute le plus vaste qui ait existé) ne vient pas de ce qu'il fut moderne, malgré le fait qu'il le fût indubitablement! C'est l'historicisme justement qui fait que des compositeurs "contemporains" s'imposent des contraintes d'inaudibilité irrationnelles, lorsqu'ils veulent s'inscrire dans une lignée des novateurs: bien entendu, lorsque Beethoven dirige sa première symphonie, avec ces premiers accords tout à fait audacieux, il est moderniste; mais c'est à des fins artistiques qu'il l'est, parce que seule une grammaire non encore utilisée peut traduire ses idées musicales.
Aujourd'hui, seule l'intention artistique compte: regardez une partition de John Cage (je me souviens qu'il était à mon programme du bac il y a de cela quelques années... fous rires sur fous rires...): tout est flou, on laisse une grande place à l'improvisation, mais en fait c'est une illusion parce que les limites sont celles de l'audible: surtout ne pas être audible, surtout que ça ne chante pas, surtout que ça sonne "contemporain"... la technique? l'art, c'est à dire aussi l'art d'écrire? pour quoi faire? des vieilleries... si on n'arrive pas à les jouer, pensent-ils, c'est qu'on ne les comprend pas...
Ce à quoi il faut revenir, c'est à une humilité dans la posture artistique, pour que celle-ci justement ne soit pas que... posture: l'art - c'est autre chose!
Les ravages de l'historicisme - ça n'est pas malgré ce que l'on peut entendre écrire avec une grammaire archaïsante: c'est justement ne concevoir l'exercice de composition que comme acte moderne. L'exercice de traduction de la pensée qu'est dans son essence la composition n'a plus de sens pour le "contemporain": l'art existe parce qu'il a décidé que son bruit serait de l'art - pensent-ils... C'est à ça qu'il faut resister!

[gallou]

Salut panurgeceline,

Je trouve ces réflexions vraiment très intéressantes. Je ne suis pas d'accord avec toi sur un point: l'exemple de John Cage, que je considère comme un authentique artiste. Pas toujours facile à comprendre, et pas de ceux que j'écoute dans ma cuisine, bien sûr... Par contre tes remarques semblent s'appliquer à pas mal de compositeurs que j'ai entendus.

[panurgeceline]

Je me permets de prévenir les amoureux de la contrebasse classique et du violon (ce qui est mon cas) que ce soir, lors d'un reportage autour d'Anne-Sophie Mutter sur ARTE, il y aura de larges extraits d'un concerto pour violon et contrebasse composé par l'excellent André Prévin - un émule de Bernstein dont l'écriture est assez jazzistique... J'ai toujours eu quelques réticences devant certaines tentatives de mélanger classique et jazz - c'est souvent métronomique, raide et maladroit (pardon M. Bernstein!)... Mais André Prévin, en plus de partager la vie de l'immense violoniste, est aussi un excellent pianiste de jazz qui a gravé d'excellents disques en compagnie de Ray Brown.
Par ailleurs, l'orchestre national a joué récemment "Shadows of Time" de Dutilleux. Outre le fait que cette oeuvre est en tout point admirable, elle comporte un long solo du pupitre des contrebasses, divisées - avec un impressionant point d'orgue très viril sur la grosse corde, à vide... J'étais aux anges! Par contre le public a accueilli l'oeuvre fraichement... Ce qui était émouvant - c'était la présence de Dutilleux lui-même dans la salle, salué par l'orchestre et le jeune chef: occasion de plus en plus rare (les grands compositeurs se faisant de plus en plus rares!) de découvrir une grande oeuvre en présence du compositeur dans la salle...
Et puis - tant que j'y suis - je vous mets en lien un bassiste impressionant dans la "Chanson Triste" de Koussevitzsky, elle est jouée un peu vite à mon sens, mais quel talent, quelle technique!


Question: l'Elegie n°1 de Bottesini - existe-t-elle avec accompagnement d'orchestre? quelle édition?
Merci à tous!

[Patrick MANET]

je vous mets en lien un bassiste impressionant dans la "Chanson Triste" de Koussevitzsky

Magnifique
Tu connais le nom de ce contrebassiste ?

[Gergovix]

Magnifique
Tu connais le nom de ce contrebassiste ?

Ben alors Patrick, tu ne lis pas le japonais
Sauf erreur de ma part, je pense qu'il s'agit Yasunori KAWAHARA, il a pris un petit coup de vieux, mais il toujours aussi bien, p'tet même mieux.

[Patrick MANET]

Ben alors Patrick, tu ne lis pas le japonais

Si, mais seulement sous la torture

Sauf erreur de ma part, je pense qu'il s'agit Yasunori KAWAHARA

Ben, même écrit en Français, j'arrive pas à le lire

il a pris un petit coup de vieux, mais il toujours aussi bien, p'tet même mieux.

C'est vraiment la classe

[gallou]

Et je viens de voir cette Passiona Amorosa (Bottesini) par le même Kawahara, vraiment très beau.



C'est souvent joué à 2 contrebasses, ou alors comme ici avec violon. Le violon jouant la 1ere partie, généralement on échange les rôles pour que la contrebasse fasse son show habituel d'arpèges typique de Bottesini (à 6'35 sur cette vidéo). Sauf qu'ici c'est le violon qui fait les arpèges, c'est très bien aussi, et ça simplifie considérablement la tâche du contrebassiste.

[Gergovix]

Son et image complètement décalés chez moi, pas au début mais après ...
Quel beau son Kawahara !