Relater cet évènement ici me permet d’abord de vous présenter une nouvelle fois des musiciens d’exception et peut-être même de vous faire découvrir un contrebassiste talentueux.
C’est aussi l’occasion pour moi de vous faire part de mes dernières avancées en matière d’amplification et d’enregistrement live d’une contrebasse au sein d’une petite formation, dans un petit lieu (studio de répétition, petite scène etc).
Pensant enfin être parvenu au résultat que je souhaitais, ce poste constituera en quelque sorte l’épilogue d’un sujet entamé en 2023 [ICI]
Ruben Bellavia, né en 1985, est un batteur et compositeur important de la scène jazz italienne. Il est notamment connu et reconnu pour être l’auteur d’une méthode inspirée des techniques et pratiques du jeu de Tony Williams. Un ouvrage qui lui a valu d’être invité en 2017 par le Berklee College Of Music pour en faire la présentation. À l’occasion de cette année 2025 qui verra la célébration du 80ème anniversaire de la naissance de Tony Williams, Ruben a souhaité rendre hommage au célèbre batteur et compositeur qui marqua significativement l’histoire du jazz et de la batterie. Pour cela il a fait appel à Nico Morelli, pianiste de renom international, et au talentueux contrebassiste Michelangelo Scandroglio. Le trio Made In Voyage ainsi constitué s’est donné pour objectif de retracer le parcours de Tony Williams, du début de sa carrière, au sein du second quintette de Milles Davis en 1962 (il avait alors tout juste 17 ans lors du célèbre enregistrement effectué au fastival d'Antibe), à son groupe historique Lifetime.
Pour une question de droit à l’image, je n’ai malheureusement pas été autorisé à filmer le concert. Je ne peux que présenter une image prise lors du salut final pour attester de l’évènement (de gauche à droite, Nico Morelli, Michelangelo Scandroglio et Ruben Bellavia).
La photo suivante à été prise à l’occasion d’un précédent concert et donne un aperçu du lieu et des conditions de l’enregistrement.
Le premier extrait qui qui suit fait la part belle à la contrebasse. Il s’agit du titre Nefertiti composé par Wayne Shorter et enregistré en 1967 sur l’album éponyme de Miles Davis. Une version arrangée par Ruben Bellavia dans l’idée de reproduire une pratique courante chez Tony Williams qui consistait à faire jouer le thème de manière décalée dans le temps par différents instruments de façon à créer un contrepoint rythmique et mélodique.
Vous me ferez peut-être le reproche d’avoir mis la basse un peu trop en avant, ou la remarque que cette capture de la contrebasse était facile compte tenu du faible niveau sonore des autres instruments. En fait le pianiste et le batteur ont un jeu très dynamique et peuvent s’avérer extrêmement volubiles et envahissants. Mais je n’ai pas voulu faire usage de l’automation, technique qui consisterait à corriger les niveaux en permanence lors du mixage pour adapter au mieux la présence des instruments en fonction du contexte. Au lieu de cela, j’ai préféré équilibrer le piano avec la batterie et donner à la contrebasse un niveau moyen constant issu du meilleur compromis possible entre les niveaux haut et bas les plus extrêmes. La contrebasse peut sembler un peu forte par moment mais on ne la perd jamais de vue dans les situations à fort niveau. De cette façon je préserve le côté naturel et vivant de l’enregistrement et surtout je respecte le jeu nuancé des interprètes.
Quelques données techniques à présent.
La contrebasse est équipée d’un jeu de cordes Evah Pirazzi médium âgé d’environ 1 an. Il s’agit en fait de ma nouvelle acquisition en septembre dernier.
Pour son amplification, j’utilise le piézo Ameka, le pré-ampli EDB1 connecté à l’entrée Line de l’AER Basic Performer. Tous les filtres sont à plat, à l’exception de celui des basses de l’AER pour un nettoyage autour de 80 Hz. J’utilise également la compression de l’AER (seuil à 9H00, ratio à 15H00) .
Le premier principe à respecter selon moi pour préserver au maximum le son acoustique de notre instrument est que celui-ci ne doit jamais être totalement couvert par celui provenant de son amplification. Au-delà de ce seuil, aucun dispositif selon moi ne permet de conserver un tant soit peu le son acoustique de l’instrument dans ces conditions. De là, avec une bonne contrebasse, un bon piézo, un bon pré-ampli présentant un forte impédance d’entrée, on peut tout à fait obtenir un son très correct à condition de s’en tenir à un volume raisonnable. Voici un aperçu de ce que cela donne au travers d’un couple ORTF placé à 4 m de distance face à l’ensemble contrebasse + ampli (son brut non corrigé au mixage)
Son Amplifié
Pour la capture, j’utilise une paire de NT5 sur le piano, une paire de NT5 en configuration Glyn Johns sur la batterie avec en plus un AKG C4000b pour la grosse caisse, un DPA 4099b pour la contrebasse qui entre directement dans l’interface audio (Motu 8 Pro) au même titre que les autres Micros et donc une paire de M5 en configuration ORTF pour la salle.
Dans l’extrait qui suit, le piano et la batterie sont cette fois nettement plus présents ce qui vous permettra de mieux juger les équilibres. Il s’agit d’une version très sensible de Stella By Starlight où vous aurez l’occasion d’entendre à nouveau un joli solo du contrebassiste.
Un petit mot sur le mixage pour conclure. Car c’est là en réalité où je pense avoir le plus progressé par rapport à l’enregistrement précédent du trio de David Patrois. [ici]
Jusqu’à présent j’avais pour habitude de creuser 3 ou 4 dB en cloche pour nettoyer les basses entre 80 et 100Hz. Mais en utilisant un analyser de spectre je me suis rendu compte que seules 4 fréquences particulières se trouvaient nettement au-dessus des autres dans ce secteur. Approximativement 72, 82, 129 et 145 Hz, ce qui doit correspondre en pratique aux notes D3, E3, C4 et D4. Il s’agit probablement d’une exagération des résonances propres de l’instrument autour de la corde Ré à vide. Plutôt que de creuser indifféremment autour de 80 Hz comme je le faisais jusqu’à présent, j’ai filtré de manière drastique ces 4 fréquences (à -10 / -15 dB) dans des plugins séparés pour pouvoir les discriminer aussi étroitement que possible. À la suite de cela j’ai pu donner plus de présence à cette partie du spectre en comprimant de 4 dB vers le haut la plage comprise entre 50 et 100 Hz avec un compresseur multi-bandes, puis en appliquant un shelving de +4 dB sous 200 Hz et encore un autre sous 80Hz avec une rampe atteignant +8db à 41 Hz. De cette manière j’ai pu redonner du détail aux fréquences les plus basses sans avoir recours à une exacerbation de leurs fréquences harmoniques. J’obtiens ainsi des basses bien pleines mais aussi très propres et détaillées. Tout réside en fait dans le contrôle précis et sévère de quelques fréquences qu’il faut parvenir à repérer avec un analyser de spectre. Au-delà de cela j’ai opéré un petit creux de -3 dB entre 200 et 600 Hz pour retirer le côté nasal/boxy, et un shelving de pratiquement +2 dB à partie de 600 Hz pour donner de l’air et du timbre. Ces retouches n’ont évidement pas pour objectif de modifier le son de la contrebasse mais bien au contraire de lui redonner le son original qu’elle a immanquablement perdu au travers de l’électronique et du traitement numérique.
Autre point de progression par rapport au précédent enregistrement, l’usage de la normalisation lors de la génération des fichiers audio. Il s’agit pour l’essentiel de limiter les piques les plus importants et de fixer le niveau énergétique moyen de l’ensemble de la prise à une valeur donnée en sortie. Ce qui revient à effectuer une compression entre la valeur maximale des piques limitée par exemple à -2 dB et le niveau énergétique moyen de l’ensemble de l’enregistrement que l’on relève autour de -14 dB. Cette compression, hors piques, ne modifie en rien l’écart qui existe entre le niveau le plus bas et le niveau le plus haut de l’enregistrement . La dynamique et les nuances sont donc respectées. Mais on parvient ainsi à relever les niveaux les plus bas et on obtient donc plus de détails. Ce réglage de la sonie constitue en fait la part essentielle du mastering. Il a principalement pour but d’harmoniser le volume des différentes plages, hier sur les vinyles et CD, aujourd’hui sur les plateformes de streaming, afin d’éviter que l’auditeur ne tombe de sa chaise en passant, d’un morceau à l’autre, d’un faible niveau à un fort niveau . Chaque plateforme possède ses propres normes de sonie (Spotify, Deezer, YouTube, Apple, etc.). Ardour, le DAW que j’utilise pour effectuer les enregistrements et le mixage, propose des normalisations qui correspondent aux exigences des différentes plateformes lors de la génération des fichiers audio finaux. Il suffit d’en faire usage pour obtenir automatiquement une excellente compression de mastering. C’est un point important qui permet de donner facilement plus de consistance aux enregistrements.
Un mot pour finir sur le panoramique et la spécialisation. Dans le passé j’ai l’impression qu’on jouait volontiers et sans modération de la stéréophonie pour séparer les instruments. Le pire exemple est certainement l’enregistrement de Bill Evans At The Village Vanguard où la basse et la batterie sont tout à gauche et le piano tout à droite. Difficile de faire plus fatigant pour les oreilles, au casque notamment. Aujourd’hui j’ai l’impression que la tendance est plutôt de tout mettre au centre. La stéréo est toujours présente mais tous les instruments se superposent les uns aux autres et on n’a aucun moyen de se représenter la scène sonore comme dans l’enregistrement de Keith Jarrett At The Deer Head Inn. Certes le son de l’ensemble est superbe, mais la scène manque parfois de réalisme. Il n’est pas rare d’avoir dans ce genre de panoramique une batterie complètement écartelée avec la ride tout à gauche et la charley tout à droite, ce que je trouve personnellement plutôt dérangeant. Compte tenu de la qualité tout de même relativement modeste de mon équipement, je me sers bien évidemment de la stéréophonie pour faciliter la discrimination des instruments. Mais j’ai choisi un panoramique moins extrême que le premier exemple cité. La stéréo du piano va de l’extrême gauche au centre, la contrebasse très légèrement sur la droite pour la séparer du piano et la batterie stéréo va du centre à l’extrême droite. De plus la stéréo du piano est inversée par rapport à ce que j’ai pu observer dans ces cas-là, par exemple dans l’enregistrement du McBride Trio At The Village Vanguard où le bas du clavier est au centre. En mettant le bas du clavier à gauche je donne un peu plus d’espace aux fréquences graves de la basse.
Voici ce que cela donne pour permettre de distinguer la basse quand le pianiste et le batteur se lâchent sur Gingerbread Boy. Notez au passage la magnifique coopération du batteur très à l’écoute du bassiste pendant le solo de ce dernier …
Une dernière précision à propos du mixage. La paire de micros ORTF destinée à prendre l’ambiance de la pièce est utilisée à minima. A vrai dire on pourrait même s’en passer car sitôt qu’on élève son niveau elle apporte les réverbérations de la pièce, en particulier celles dues à la batterie, ce qui a pour effet de l'éloigner et d'apporter quelques aberrations dans le panoramique. En fait cette prise stéréophonique de la salle me sert juste spécialiser les applaudissements.
Voilà, vous savez tout, ou presque. En fait ce n'était pas si compliqué et tout le monde peut y arriver avec quelques micros relativement bon marché, du moins par rapport à ceux utilisés par les professionnels. A vous de jouer maintenant …